Quel jour sommes-nous ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Le Tour m' entraîne dans sa spirale intemporelle. Le rythme immuable des journées - lever, déjeuner, étape, collation, douche, massage, repos - m'a fait perdre le compte. Le lundi ressemble au vendredi et le jeudi au mardi.

La vie itinérante vous condamne à l'essentiel : le soir, j' attrape le premier vêtement qui passe et je m'en contente. La journée a démarré avec trois pauses-pipi en une heure : l'effet combiné du froid et du thé probablement.

Je démarre sous un ciel sombre, comme troué par des percées de lumière divine. Près d'Avallon, un panneau indique la proximité d'un curieux musée, celui des voitures des présidents de la République.

La première étape vallonnée du Tour est une bouffée d'air pur dans le parc naturel du Morvan. Le ruban de goudron survole la campagne et l'altimètre oscille follement. J'ai monté une roue libre de montagne (39x25) et je m'en suis félicité dans la côte de Champignolles-le-Bas qui se dresse vertigineusement.

Je respire déjà le parfum du Sud, l'équateur de l'Hexagone approche, la finesse de l'air a changé, les villes sont moins austères, la pierre des maisons s'éclaircit, les murets des jardins s'abaissent. Quand on passe dans un village qui a pour nom Bazoches, on comprend que le terroir de la France, c'est ici ! Des ruisseaux, des rivières qui coulent sous des forêts humides, des vallons verdoyants ronds comme le dos d'un chat.

Brusquement, au kilomètre 129, le décor change, la pointe des sapins au loin vous projette dans un décor de montagne : voilà le premier col de 2e catégorie. Une colonie de Néerlandais a pris place : le col de Haut-Folin ressemblera à l'Alpe-d'Huez en miniature.

Les descentes sont dangereuses, certaines portions dans les sous-bois sont condamnées à l'obscurité éternelle, une fine pellicule d'humus brille à la sortie des virages. Je ne prends aucun risque dans les descentes, je ne peux pas me le permettre. J'ai déjà parcouru 5 étapes, un quart de Tour, une broutille, mais ça donne le moral.