Dans le Port de Balès, le col le plus difficile du Tour 2007, on se sent seul au monde. Je m'accroche au guidon qui dégouline de sueur, je tire autant sur les bras et les reins que sur les jambes, j'invoque la pitié céleste, hagard et sonné, à la recherche d'un zeste de moi. Au loin tintent les cloches des vaches qui broutent sur les pentes recouvertes d'une herbe veloutée.
Foix – Loudenvielle ou l'apogée du sadisme vélocipédique, 90 kilomètres de montée, 4500 mètres de dénivelée, une étape qui ratatine ce qui reste d'un coureur après deux semaines de Tour. On vous cuit sur le Col de Port, on vous broie sur les pentes rugueuses du Portet d'Aspet et du Col de Menté, avant de vous achever par l'interminable ascension du Port de Balès. Si vous avez survécu, le Col de Peyresourde vous porte le coup fatal.
On se sent dans la peau du bétail destiné à l'abattoir. Le revêtement rugueux de la région donne la sensation de monter les cols à rebrousse-poil. Sur un vélo, les Alpes sont comme une femme maquillée et parfumée qui s'offre à vous rapidement alors que les Pyrénées vous font un clin d'œil aguicheur puis se dérobent dans la forêt épaisse comme une sauvageonne caractérielle qu'il faudra conquérir avec le temps.
Des volutes de brume dansent autour des sommets dentelés. Le fracas des torrents rafraîchit l'esprit qui divague. J'ai parfois l'impression de me dédoubler et de planer au-dessus de ma silhouette qui pédale en danseuse. Des bergers appuyés sur de longs bâtons en noyer vendent du fromage de brebis devant leur maisonnettes en pierres grises avec balconnet en bois et toit incurvé en ardoise. Ici, chaque mètre de goudron raconte une histoire, une anecdote, une légende, une tragédie.
La fraîcheur du crépuscule dévalait déjà les vallons quand nous sommes arrivés après 8 h 20 de montagnes russes. Tel un cheminot qui alimente une vieille locomotive à charbon par de généreuses pelletés, je n'ai pensé qu'à me nourrir.
En 197 kilomètres, j'ai mangé 9 sandwiches (au jambon, au cheddar, au saucisson, à la mortadelle, au Nutella), une barre aux amandes, 200 grammes de noix de cajou, 15 morceaux de pommes séchées, 1 banane, quatre petits pots de miel et gelée royale, et avalé 4 litres de boisson.
Après avoir enlevé casques et chaussures, je me suis allongé dans l'herbe avec Fabio pour déguster une bonne bière et trinquer au jour de repos.