24 juillet 2007

La peur, la lutte, la victorie

Je le savais. Mon corps, discipliné par des mois de vie ascétique, ne m'a pas trahi en un jour aussi important. J'avais l'angoisse du bachelier le matin en avalant mon bol de céréales mais personne ne pouvait comprendre mon drame personnel, ma crainte d'échouer à l'examen suprême, de craquer si près du but. La diarrhée, une tendinite ou un maudit mal de jambes ne pardonnent pas sur 219 km dans les Pyrénées.

La plus longue journée de l'Autre Tour a débuté par la perquisition de notre voiture à la sortie du péage autoroutier d'Orthez : "Éteignez le moteur et présentez vos papiers", a ordonné le douanier. Il lui a suffi de renifler un flacon d'huile de massage à l'arnica pour nous laisser repartir. Pour combattre ce léger écœurement devant l'avenir que l'on appelle pessimisme, je suis monté sur mon vélo avec un esprit guerrier, le couteau entre les dents, pas rasé, avec la fougue d'un Dimitri Karamazov et l'ambition d'un Julien Sorel.

Je me suis battu avec la pente verticale du col du Port de Larrau, une montagne qui ressemble à un immense flanc à la pistache décoré par un bitume couleur réglisse. Je suis resté concentré dans la traversée de la Navarre dépeuplée, hérissée de sapins d'un vert slovène, puis j'ai bataillé vent de face sur le Col de la Pierre Saint-Martin. Le temps se dilatait, tout se déformait autour de moi, mon pédalier fondait comme une montre molle de Dali.

Oui, il me fallait être agressif, attaquer pour ne pas reculer. Les rayons de mes roues brillaient comme des poignards dans la subtile luminosité béarnaise. Confronté aux pourcentages terrifiants (12% sur 4 km) du Col de Marie-Blanque, j'ai encore accéléré en repensant à ce que m'avait confié un jour Marco Pantani : "Je monte vite les cols pour que la souffrance dure le moins longtemps possible."

En 9 h 12 de vélo, je n'ai pas vu une seule inscription sur la route en faveur de Rasmussen ou de Contador. Qui peut, qui veut, s'identifier avec des robots ? Le public, assis dans l'humidité crépusculaire, souvent sous des tentes de fortune, désabusé, attend désormais la course plutôt que les coureurs. Sur l'Aubisque, les chaussures jaunes de Fabio m'ont servi de repère pour avancer dans la ouate nuageuse. Au sommet, j'ai bien cru voir la Tour Eiffel au loin. Paris se rapproche.