25 juillet 2007

La remontée des saumons (grillés)

Les mollets qui grincent. Les cuisses qui hurlent. Les rotules qui semblent transpercées par une aiguille à tricoter à chaque tour de pédale. L'étape de l'Aubisque a laissé des traces. J'ai la sensation de sortir du tambour d'une machine à laver après un essorage.

Je salue la chaîne des Pyrénées d'un geste furtif en narguant ses sommets meringués de neige éternelle. L'étape monte et descend sans relâche, elle vous suce ce qui reste de forces vitales.

Chaque petite côte m'oblige à courber l'échine avec un braquet de haute-montagne. Je m'accroche, les dents serrées, en passant entre les champs de tournesols au garde-à-vous et ceux de maïs où des jets propulsent des salves d'eau fraîche qui, sur notre peau cuite, ont l'effet de la rosée sur le gazon jauni.

Le soulagement d'être sorti du guêpier des Pyrénées se traduit par un manque de motivation, mais j'essaie de garder ma concentration, les mains sur les freins avec des réflexes félins pour éviter les pièges de la route et le pneu de Fabio qui tourne à deux centimètres du mien depuis plus de 3000 kilomètres.

Urbain, un sympathique cycliste de Pau qui pourrait être le frère jumeau de Gilbert Duclos-Lassalle, est venu à notre rencontre et nous a accompagnés un bout de chemin : "Mes relais vous aideront un tout petit peu".

Voilà le Gers avec sa campagne peignée, ses meules de foin bien roulées et ses producteurs de foie gras. Pour tuer le temps et les kilomètres, je me fixe de petits objectifs qui m'aident psychologiquement à atteindre le grand. Je divise la distance en tranches. Au fond, deux cents kilomètres, ce n'est que vingt fois dix kilomètres.

Avec Fabio nous remontons vers Paris comme deux saumons (grillés), en donnant les derniers coups de reins. On parle du passé, de ce mois incroyable sur les routes de France, on évoque aussi la souffrance présente en la dédramatisant, mais le futur reste un sujet tabou. Il existe la peur du départ, mais aussi celle de l'arrivée. La fin est un instant, tout se termine en quelques secondes et la grande question se reposera : de quoi sera fait demain ?