27 juillet 2007

De l'ombre à la lumière

"Je croque dans un esquimau, les jambes allongées sur le tableau de bord de notre camping-car. Derrière le pare-brise, les bandes blanches de l'autoroute défilent. Nous remontons sur Paris. Le contre-la-montre de Cognac à Angoulême, tracé dans les vignobles charentais, n'a été qu'un intermède en apnée, une énième rasade d'acide lactique dans mes fibres tourmentées.

Sur le bord de la route, les gens nous interpellent désormais par nos prénoms. Certains attendent notre passage devant la grille du jardin et battent des mains. Sur Internet, des milliers de messages d'encouragement arrivent du monde entier. Pourquoi un tel engouement ? Tout simplement parce que l'Autre Tour a redonné une dimension humaine à l'effort sur un vélo et étanché la soif d'éthique et de loyauté. Il a transmis un message : en s'entraînant et en respectant les règles, on peut atteindre ses objectifs.

Poitiers. Les bandes blanches défilent. Je repense à l'incompréhension des sponsors que j'avais contactés, en novembre 2006 : seules trois entreprises du CAC 40 s'étaient donné la peine de me répondre. Négativement. "Votre projet dérange", m'avait rétorqué le directeur d'une marque liée au Tour de France. Des dizaines de cyclistes passionnés sont venus à notre rencontre partager quelques relais dans le vent et notre idéal, n'hésitant pas à se lever à l'aube pour faire un bout de chemin avec Guillaume et Fabio, deux anonymes sans palmarès. Merci à tous de votre générosité, il y a du bonheur à donner mais aussi, croyez-le bien, à recevoir.

Péage d'Angers. L'autoroute défile et mon esprit débobine le film de ces derniers mois. Les projecteurs médiatiques aujourd'hui braqués sur l'Autre Tour contrastent avec l'ombre dans laquelle je l'ai préparé. Je me rappelle la perplexité de mon entourage face à mon enthousiasme et mes sacrifices. Il faut une volonté de fer et, à l'instar d'un bon marin, maintenir le cap sur le but que l'on s'est fixé. Savoir dire non quand on vous propose du camembert, en janvier, ou une belle portion de tiramisu, en mars. On sème l'hygiène en hiver et l'on récolte la santé en juillet. Pendant un an, j'ai donc renoncé au fromage, aux desserts, aux fritures, parfois à la vie !

J'ai appris à tutoyer la souffrance physique d'entraînements massacrants et à domestiquer le stress. Il m'a en effet fallu cohabiter avec une peur permanente vissée dans l'estomac : la peur de tomber, d'échouer, de décevoir. Après 3 500 km sur les routes de France sous le soleil ardent et la pluie battante, dans les plaines ventées et les montagnes gelées, je me sens bien physiquement et cela semble surprendre. On me dit : "Finalement, tu n'as pas trop maigri, tu n'es pas squelettique ni anémié." Je réponds : "Pourquoi devrais-je l'être ?"

Nous souhaitions démontrer qu'une personne bien entraînée peut effectuer le Tour à une moyenne horaire sportive. Certes, mon corps s'est déformé, irrité, musclé et j'ai perdu la notion de désir. Mon problème principal aura été la récupération des efforts. J'ai très peu dormi, 6 ou 7 heures. J'aurais aimé, une fois l'étape terminée, me jeter sur mon lit les bras en croix, mais il fallait écrire en cherchant dans la jungle de mes neurones tarabiscotés le fil conducteur des émotions. Cycliste le jour et journaliste la nuit, une double existence éprouvante.

Blois. Premiers bouchons. Le camping-car vibre. Fabio parle au téléphone avec Rocco, son petit garçon de 2 ans et demi qui lui demande chaque jour quand il rentrera. J'ai eu un accrochage verbal avec Fabio peu après le départ, puis tout est rentré dans l'ordre. Souvent, il suffit de dire pardon. Sur le Tour, les veines sont à fleur de peau, et les nerfs aussi. Je m'apprête à retrouver la vie quotidienne. Aller chercher le journal le matin...